- ORIFLAMME
- ORIFLAMMEORIFLAMMELes premiers rois capétiens, comme tous les autres souverains et même les Carolingiens, devaient avoir un étendard à queues attaché à une lance. Sur la mosaïque du triclinium du Latran on voit le roi Charles (c’est-à-dire Charlemagne vers 796-798, avant son couronnement impérial) recevant à genoux l’étendard (de Rome?) de la main de saint Pierre, étendard qui aurait été bleu à roses rouges selon les anciens témoignages (on ne peut guère se fier à la reconstitution actuelle qui date du XVIIIe siècle); il est certain que Charlemagne reçut de Léon III l’étendard de la ville de Rome en 796. Sur la même mosaïque, Constantin, mis en parallèle, reçoit du Christ un étendard similaire, mais rouge et semé de motifs d’or. Selon Adhémar de Chabannes en sa Chronique , le roi de France Robert Ier aurait eu une bannière en tissu d’or. Des manuscrits comme le Psautier d’Utrecht (vers 830, à Reims) et des sceaux équestres de 1000 environ montrent la lance ornée de sortes de flammes, presque séparées. La Chanson de Roland (vers 1110) déclare que l’«orie flambe» de Charlemagne, mise tout d’abord en relation avec saint Pierre (donnée par le pape?), se nommait Romaine, puis qu’elle changea son nom en Munjoie, qui est d’ailleurs le cri de guerre des Français depuis 1047 (selon Wace, Roman de Rou , écrit après 1170) et en 1119 (Orderic Vital, mort en 1143, en son Histoire ecclésiastique ), ils crient «Meum gaudium! »; ce terme, souvent écrit «Montjoie», était un signe de ralliement autour d’un emblème, indiquant la voie du devoir, après avoir été une balise, un tas de pierres, un mont d’où l’on pouvait découvrir avec joie le terme d’un pèlerinage. Louis VI le Gros perdit son étendard à Brémule (1119), alors que le roi d’Angleterre conservait le sien. Lors de l’invasion allemande conduite par l’empereur Henri V en 1124, il fallut lever l’ost et Louis VI alla à Saint-Denis: suivant l’antique usage de ses ancêtres, il prit sur l’autel l’étendard (vexillum ), faisant ainsi figure d’avoué ou de vassal de l’abbaye, paraît-il comme comte de Vexin. On confondit sans doute rapidement les divers emblèmes, celui des Carolingiens et celui de Saint-Denis; écrit près de l’abbaye vers 1130, Li coronemenz Looïs fait crier aux Français «Montjoie!», «Deus, sainz Denis, aidiez!», ce qui deviendra «Montjoie Saint-Denis» par la suite, le «cri de France» comme le dit Jeanne d’Arc, encore qu’on ne le clamât pour ainsi dire plus en son temps (le terme sera gardé pour désigner le roi d’armes de France). Dès 1184 on écrit que l’enseigne royal est celui de Charlemagne (Gervais de Canterbury) et, au XIIIe siècle, Richer de Senones le confirme en déclarant que le terme d’auriflamma est une appellation habituelle, presque populaire, qui semble dénoter un souvenir ancien. Le vitrail de saint Denis à Chartres (vers 1210/1220), les descriptions et les meilleures peintures des XIIIe et XIVe siècles montrent que l’oriflamme était une bande de soie légère, rouge uni (couleur impériale ou encore celle du martyr, en l’honneur des saints Denis, Rustique et Éleuthère), assez longue, découpée de cinq, trois ou deux queues, ornée de houppes vertes, attachée par des anneaux à une lance dorée pouvant tuer l’ennemi.L’enseigne saint Denis était ainsi un gonfanon du XIIe siècle qui dérivait peut-être d’un étendard de la garnison défendant les murs de l’abbaye depuis Charles II le Chauve. Pour un soldat de 1300, c’était un emblème d’aspect archaïque. Parfois prise lors d’une croisade ou d’une guerre malheureuse, l’oriflamme fut plusieurs fois refaite: le roi allait chercher l’étoffe sur les reliquaires des saints martyrs et la confiait à un preux chevalier qui ne la mettait à la lance qu’en marche contre l’ennemi. On a noté qu’à Roosebeke (1382) les armées étaient sous la bruine et que le soleil ne se montra que lorsque l’oriflamme fut déployée: les Français de Charles VI purent courir sus aux Flamands et les écraser (Froissart). Azincourt (1415) semble avoir été la dernière bataille où l’on vit l’oriflamme qui, non reconstituée ou captive à Saint-Denis, lors de l’occupation anglaise, ne joua aucun rôle par la suite. Louis XI l’aurait levée, mais on ne l’employa pas. Abandonné près de l’autel des saints Martyrs, le vieux gonfanon fut encore vu par dom Doublet vers 1600, et ce n’était plus qu’un bâton avec des clous qui recouvraient des fils de soie rouge au XVIIIe siècle. Dès Charles VII, un drapeau rouge orné d’une croix blanche devint fréquent dans les armées, sans doute en souvenir de l’oriflamme. En 1790, pour la fête de la Fédération, la ville de Paris offrit à l’armée française une oriflamme blanche à deux queues, suspendue à une tringle horizontale, attachée à une pique: orné de lettres d’or, cet emblème fut porté par le vicomte de Saint-Priest, porte-cornette blanche de France puis suspendu à la voûte de l’Assemblée nationale constituante; la Convention nationale, à qui déplaisait la couleur blanche, fit détruire cet emblème.♢ Mod. Bannière d'apparat ou utilisée comme ornement. Oriflammes d'une église. « des oriflammes aux couleurs du royaume, que le vent desséchant fait claquer dans l'air » (Loti).oriflammen. f. Bannière d'apparat, de décoration.⇒ORIFLAMME, subst. fém.A. —HIST. Étendard de soie rouge orangé, à la partie flottante découpée en pointes, qui fut primitivement celui de l'abbaye de Saint-Denis et que les rois de France adoptèrent comme bannière royale du XIIe au XVe s. De tous les points du pays, vassaux et milices vinrent se ranger autour du roi et de l'oriflamme de Saint Denis (BAINVILLE, Hist. Fr., t.1, 1924, p.61):• 1. Il avait entendu une messe solennelle, célébrée à Notre-Dame pour le succès de ses armes, puis il était allé demander l'oriflamme à Saint-Denis. On avait d'abord fait difficulté de la lui donner; car ce saint étendard ne devait être porté que contre les infidèles ou pour la défense du royaume, jamais pour conquérir d'autres pays.BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.1, 1821-24, p.346.— P. ext. Étendard d'un souverain. La reine Arda, qui se trouvait dans la ville, croyait avec tous les habitants que le roi avait péri, lorsque le 20 mai, à la surprise générale, une barque apparut au large, qui portait, claquant dans le vent, l'oriflamme personnelle de Baudouin (GROUSSET, Croisades, 1939, p.67).— P. anal. et littér. Une touffe de bambous prestigieuse comme une brassée de lances noires à l'oriflamme piquée de lucioles (CENDRARS, Homme foudr., 1945, p.303).B. —[De nos jours] Bannière d'apparat ou d'ornement, souvent utilisée à l'occasion de fêtes ou de cérémonies. Quand on a vu le départ des lourds navires penchés sous la voilure, les oriflammes claquantes, le mouvement des flots, l'immense étendue grise où naît une incertaine lueur d'or, c'est qu'on a regardé la mer en compagnie des Van de Velde (FAURE, Hist. art, 1921, p.41). Des dessins de l'époque nous en restituent l'ambiance de fête foraine: tribunes, oriflammes, messieurs en redingote et gibus et dames coiffées d'amples capotes à bride (P. ROUSSEAU, Hist. techn. et invent., 1967, p.261).— HIPP. Pavillon que l'on hisse avant le départ de la course et que l'on amène après son départ. Taisez-vous donc, on lève l'oriflamme... Les voilà, attention!... C'est Cosinus qui est le premier. Une oriflamme jaune et rouge battait dans l'air (ZOLA, Nana, 1880, p.1399).C. —Au fig. Ce qui symbolise (quelque chose); ce qui constitue un signe de ralliement. Vieux capitaine d'une armée qui a déserté ses tentes, je continuerai, sous la bannière de la religion, à tenir d'une main l'oriflamme de la monarchie et de l'autre le drapeau des libertés publiques (CHATEAUBR., Lib. Presse, Marche et effets Censure, 1827, p.238):• 2. Les jeunes intellectuels, petits bourgeois orgueilleux, se faisaient royalistes, ou révolutionnaires, par amour-propre froissé et par haine de l'égalité démocratique. Et les théoriciens désintéressés, les philosophes de la violence, en bonnes girouettes se dressaient au-dessus d'eux, oriflammes de la tempête.ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p.1268.Prononc. et Orth.:[
] et [-a-]. V. flamme. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1200 «petit étendard» (Aiol, 10697 ds T.-L.); 2. 1867 «bannière d'apparat» (GONCOURT, Man. Salomon, p.131). Altération, d'apr. flamme, de l'a. fr. orie flambe «petit étendard» (ca 1100, Roland, éd. J. Bédier, 3093; ca 1150, oriflanble, Charroi de Nîmes, éd. D. McMillan, 865), d'orig. obsc. On y a vu un comp. de l'a. adj. orie «doré», v. oripeau et flambe (du lat. flammula «petite flamme», v. étymol. de flambe2) «bannière», d'apr. le lat. médiév. aurea flamma, auriflamma «bannière du monastère de Saint-Denis» et p. ext. «bannière (en général)» (XIIe s. ds DU CANGE et BLAISE Latin. Med. Aev., s.v. auriflamma), cette bannière ressemblant à une flamme (v. Romania t.68, 1944-45, p.450, note 1), mais cette hypothèse se heurte principalement à l'obstacle de la couleur, l'oriflamme des rois de France étant rouge (v. Rom. Philol. t.12 1958-59, note 40). H. et R. KAHANE (Rom. Philol., loc. cit.) proposent un laurea flammula «étendard lauré» aboutissant à lorie flambe, puis orie flambe par suite de la chute du l initial due à un rapprochement avec aur- «or». V. Br. MIGLIORINI ds R. roum. de ling. t.20 1975, pp.543-545. Fréq. abs. littér.:119. Bbg. BURGER (A.). Oriflamme. In:[Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, t.2, p.357. — CATACH (N.), METTAS (O.). Encore qq. trouvailles dans Nicot. R. Ling. rom. 1972, t.36, p.368.
oriflamme [ɔʀiflɑm] n. f.ÉTYM. XIVe; orie flambe, 1080, Chanson de Roland; de l'anc. franç. orie « doré », du lat. aureus, et de flamme; oriflamme au XIVe, proprt « flamme d'or ».❖1 Archéol. Petit étendard, ancienne bannière des rois de France. ⇒ Drapeau, gonfalon.1 Il n'est pas jusqu'à l'oriflamme de Charles (Charlemagne) qui ne porte un nom éclatant, puisqu'elle s'appelle Romaine.G. Duhamel, Refuges de la lecture, II.2 Mod. Drapeau, bannière d'apparat, ou utilisé(e) comme ornement. || Oriflammes d'une église, d'un édifice pavoisé. || Oriflammes qui claquent (→ Gloire, cit. 31).2 (…) des oriflammes aux couleurs du royaume, que le vent desséchant fait claquer dans l'air.Loti, l'Inde (sans les Anglais), V, IX.
Encyclopédie Universelle. 2012.